Monsieur le ministre,

votre prédécesseur avait l’habitude de visiter notre île au moment des rentrées scolaires, sa dernière venue remontant à 2019. Nous avions l’habitude quant à nous de constater que ces visites ne changeaient strictement rien aux difficultés de notre académie qui encore aujourd’hui sont autant de défis à relever.

Par quoi commencer ? Les retards scolaires ? les retards structurels ? Le contexte socio-économique ? A bien des égards notre territoire est toujours l’un des grands oubliés de la République : chômage, pauvreté, mal-logement, illettrisme, sorties du système scolaire sans qualification  : tous les indicateurs sont au rouge. Dans ce contexte, essayez d’imaginer les défis que nous devons relever chaque jour dans nos collèges, lycées et nos écoles où le bâti scolaire est souvent vétuste, parfois même insalubre dans certaines communes ; Il est surtout inadapté à nos longs étés très chauds qui se déploient des mois entiers sur la période scolaire et pas seulement à cause du dérèglement climatique. Pour dire les choses clairement : les conditions de travail sont très dures une grande partie de l’année et bien peu propices aux apprentissages ; elles s’ajoutent et/ou contribuent à un taux élevé d’échec scolaire. Imaginez la même situation dans l’hexagone et les protestations que de telles conditions provoqueraient…

Reprenons les sujets un par un 

Éducation prioritaire

La moitié des collèges et leurs écoles de rattachement sont en REP ou REP+. C’est pourtant encore très loin de répondre aux problèmes. Nous estimons que la carte de l’Éducation Prioritaire devrait être bien plus ambitieuse et bien plus cohérente pour répondre véritablement à nos besoins.

Concernant le dédoublement des classes dans les écoles des réseaux, il est considérablement limité quand le bâti ne suit pas, difficile en effet de pousser les murs. Par ailleurs, si nous sommes favorables à ce principe, cela ne doit pas conduire à surcharger les autres classes et donc y rendre plus difficiles encore les conditions de travail par effet domino. Tant que cette mesure, dont nous avons tous compris qu’elle relevait d’une stratégie de campagne, continuera à se déployer à moyens constants, nous ne pourrons pas nous en satisfaire.

Postes

Les chiffres officiels et autres éléments de langage ne résistent jamais longtemps au mur implacable du réel. Nous déplorons tous les ans le manque de postes aux concours et un calibrage opaque qui ne répond pas à nos besoins.

Dans le second degré, cela se traduit par l’affectation de stagiaires ou de néo-titulaires dans l’hexagone pour palier la crise des vocations là-bas et donc garnir (si je puis dire) les académies déficitaires (selon les critères ministériels). Nous disons nous que l’explosion de l’emploi précaire ici est le signe évident de nos propres déficits en emplois de titulaires. Ce que ne manquent pas de relever tous ces jeunes lauréats qu’on oblige à quitter le territoire (y compris pour leur année de stage) et qui observent dans l’incompréhension les recrutements de contractuels.

L’institution est maltraitante, qu’il s’agisse des stagiaires affectés dans l’hexagone sans mesure d’accompagnement ni aide à l’installation, qui plus est dans un calendrier beaucoup plus resserré ; qu’il s’agisse des néo-titulaires qui malgré le CIMM n’ont aucune garantie aujourd’hui de ne pas se retrouver séparé.e.s par 10000 kms de leur famille ; et nous ne parlons pas ici de leurs parents…

Nous demandons a minima une harmonisation dans l’attribution du CIMM et bien entendu davantage de postes de titulaires. Nous demandons par conséquent un calibrage transparent et à la hauteur de nos besoins ainsi que davantage de postes aux concours.

L’école à La Réunion, comme ailleurs, est un outil de développement à condition toutefois d’être correctement dotée, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Dans le 1er degré, il est insensé d’entendre qu’à ce jour les besoins seraient couverts. C’est faux. Les reçus sur liste complémentaire doivent tous être recrutés.

Autre difficulté : dans une académie où certaines écoles ont la taille d’un collège, il n’est pas normal qu’il n’y ait dans la quasi-totalité d’entre elles aucune aide à la direction.

L’inclusion des élèves en situation de handicap

Devenue le totem du ministère, nous étions en droit d’espérer que les moyens suivraient. Les 90 postes supplémentaires annoncés triomphalement par Mme la rectrice à cette rentrée sont loin, mais alors très loin de répondre aux besoins.

L’état des lieux de l’inclusion dans le système scolaire de notre académie est affligeant : les retards dans l’application des préconisations de la MDPH sont légions, peu d’élèves sont accompagnés sur la totalité de leur emploi du temps, les AESH ont en charge plusieurs élèves, sur plusieurs établissements, bref….

Oser affirmer face à la critique que « tous les enfants sont accueillis avec ou sans AESH » est indigne. Tout comme le sont les conditions de travail, le niveau de rémunération, le manque de formations proposées à ces personnels (pourtant nécessaire par ex dans certains cas en langue des signes,..).

Nous demandons un audit complet du dispositif mais aussi une clarification sur son pilotage.

Il va sans dire que les mêmes exigences se posent concernant les APSH.

Pour tous ces personnels nous demandons une revalorisation salariale ; au regard de l’importance de leurs missions, elles (car ce sont des femmes dans l’écrasante majorité des cas) sont extrêmement mal payées.

Emplois précaires

Concernant leurs collègues AED, nous demandons que l’accès au CDI ne soit pas laissé à la discrétion des chefs d’établissement mais que cela ne soit pas une simple possibilité mais bien un droit.

L’emploi précaire est à l’opposé de notre vision de ce que doit être un service public, les personnels doivent pouvoir exercer leurs missions en toute sérénité que seul le statut permet.

Par ailleurs, et même si le CDI ce n’est pas le statut, les AED ayant l’ancienneté requise doivent pouvoir tous y accéder et non pas en fonction du bon vouloir des chefs d’établissement qui peuvent ainsi manier la carotte et le bâton. Avez-vous jamais craint le chômage chaque jour ou presque tout en gagnant péniblement 1000 euros par mois ?

Monsieur le ministre, vous venez d’annoncer la création d’un concours spécial pour l’intégration des contractuels enseignants. Nous vous demandons d’en créer un également pour les personnels administratifs. Vous n’imaginez sans doute pas depuis votre ministère le nombre ahurissant d’abus en matière de recours aux CDD. Dans le contexte social qui est le nôtre, voir des collègues enchaîner les CDD pendant 25 ans par un détournement de la loi est proprement scandaleux.

Réforme de la voie professionnelle

Nous connaissons vos intentions : généraliser l’apprentissage et donc en finir avec un enseignement professionnel de qualité. En faisant croire que l’entreprise serait plus formatrice que le lycée, cette réforme constituerait un spectaculaire retour à l’époque d’avant-guerre. A une époque où l’objectif assumé était de fournir le plus vite possible de la main-d’œuvre à un patronat toujours plus avide d’emplois à moindre coût. Il s’agirait alors à nouveau d’assigner les jeunes issu-es des milieux modestes à des postes peu qualifiés sans possibilité d’évolution. Cette vision de la reproduction sociale n’est vraiment pas la nôtre. A la Réunion, où la voie professionnelle sous statut scolaire est attractive et où le tissu économique contraint rend déjà difficile la recherche de maîtres de stage, généraliser l’apprentissage reviendrait à dégrader purement et simplement la qualité de la formation et à boucher l’horizon de nombreux jeunes, condamnés de fait à la relégation. C’est tout simplement honteux.

La campagne calomnieuse menée par le président de la République et vous-mêmes contre les lycées professionnels et leurs enseignants est indigne ; en effet, l’état dans lequel est le système éducatif est le résultat des politiques menées ces dernières années dont votre ministère et l’actuel chef de l’État sont directement comptables.

Nous tenons pour terminer à exprimer notre soutien à notre camarade Kai Terada, victime de la répression syndicale qui sévit au Ministère de l’Éducation Nationale. Nous demandons une fois de plus la levée immédiate de toute sanction à son égard. De la même manière que nous demandons que cessent toutes les mesures d’intimidation, les pressions, les sanctions déguisées et sans fondement que subissent des militants syndicaux y compris à la Réunion.

Pour l’Intersyndicale

Marie-Hélène DOR

Secrétaire départementale FSU

Saint-Denis, le 27 septembre 2022